samedi 24 novembre 2007

Le Chili et les autochtones du point de vue des Droits humains


José Aylwin
Directeur de l'Observatoire des droits des peuples autochtones au Chili



On ne peut réellement comprendre les raisons de cette grève de la faim sans connaître la nature même du rapport entre le Chili et les peuples autochtones, en particulier le peuple Mapuche, du point de vue des Droits humains.
Le Chili est un des pays d’Amérique latine où les droits des peuples autochtones sont les plus fragiles. Il est un des 5 États du continent qui ne reconnaissent pas les peuples autochtones et leurs droits spécifiques dans leur dimension fondamentale. Pour la Constitution politique de 1980 actuellement en vigueur, il y a toujours un seul peuple vivant au Chili : le peuple chilien.

En 1993, l’État avait créé la Corporation nationale de développement indigène (Conadi) pour régir sa politique autochtone, reconnaissant par là même à ceux-ci des droits sur leurs terres, leurs langues et leurs cultures. Cependant, la loi qui donna naissance à la Conadi ne reconnaît pas les peuples autochtones du Chili en tant que peuples mais seulement en tant qu’ethnies. Elle ne reconnaît pas les formes d’organisation traditionnelle des autochtones, ni leurs droits politiques (droit à la libre détermination, à l’autonomie et aux systèmes de justice autochtone), pas plus que les droits territoriaux et les droits sur les ressources naturelles qui sont actuellement défendus par le droit international relatif aux peuples autochtones (Convention 169 de l’OIT et Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones).

Malgré les politiques sectorielles impulsées par la Conadi ces dernières années, la situation des droits des autochtones au Chili reste critique, et la relation des peuples autochtones, en particulier du peuple Mapuche avec l’état, est hautement conflictuelle. La conflictualité de cette relation s’explique largement par les limitations de l’aménagement juridique pour protéger les droits autochtones, en particulier les droits sur leurs terres et les ressources naturelles aujourd’hui menacés par des grands projets d’investissements dans les secteurs forestier, minier, piscicole et hydroélectrique.
Elle s’explique aussi par les insuffisances et les contradictions de la politique publique relative aux peuples autochtones et à leurs droits, en particulier en ce qui concerne la restitution des terres “usurpées”, car cette politique a toujours été orientée par des critères économicistes sans aucune considération pour la dimension ancestrale du territoire revendiqué.
Les différents pouvoirs de l’état chilien ont réagi de façon disproportionnée à la protestation autochtone en se lançant dans un processus de criminalisation des revendications politiques et sociales de celle-ci. En conséquence de cette criminalisation, des centaines de personnes membres des communautés mapuche ont été persécutées judiciairement pour leurs actions de réclamations de terre et leur revendications sociales face à leur situation d’exclusion.
Une trentaine de ces personnes ont été jugées pour des délits qui, selon l’état, revêtent un caractère « terroriste ». Une dizaine d’entre elles ont été condamnées à de lourdes peines de 10 ans de prison. Pour les Mapuche il s’agit de jugements à caractère politique. Pour cette raison, ces mêmes condamnés s’autodénoment, non sans fondement, prisonniers politiques mapuche.
Cette situation a suscité la préoccupation de diverses instances internationales, parmi lesquelles celle du Rapporteur de l’ONU pour les droits autochtones qui en fait déjà part dans son rapport sur le Chili de 2003, celle du Comité du Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU dans rapport de 2004, et celle du Comité pour les droits humains de l’ONU dans son rapport de 2007.

Parmi les premiers sujets de préoccupation de ces instances se trouve la législation dite «anti-terroriste», héritée des temps de la dictature pinochiste, et actuellement utilisée pour persécuter les Mapuche.
Une autre préoccupation concerne les mauvais traitements de la part des forces policières envers le peuple mapuche, notamment de façon répétée envers des enfants et des personnes âgées.
Tout aussi préoccupante est la situation d’exclusion des peuples autochtones des instances politiques où se prennent les décisions qui les concerne, comme par exemple le Congrès National.

Cette exclusion des autochtones se manifeste enfin également au niveau économique et social. En effet, les politiques publiques sectorielles impulsées par l’état n’ont pas réussi à renverser la situation de marginalisation dans laquelle vivent les populations autochtones. Les efforts des autorités pour faire pénétrer l’économie globale à l’intérieur des territoires autochtones ont conduit à la prolifération des investissement dans les plantations forestières industrielles, l’exploitation minière et les concessions de pisciculture, ainsi que dans des grands projets d’infrastructures et de barrages qui n’ont fait que contribuer à marginaliser davantage les populations autochtones. Ceci se constate très nettement au niveau des indices de pauvreté dans les communautés mapuche qui surpassent de beaucoup le reste de la population non autochtone.

Tant que l’État chilien continuera à privilégier l’extraction des ressources naturelles en territoire autochtone tout en s’entêtant à nier les conceptions et les attentes que les Mapuche ont eux-mêmes de leur propre développement, tant qu’il continuera à privilégier l’économie globale au détriment des droits des peuples autochtones sur leurs territoires et leurs ressources naturelles, on ne peut s’attendre qu’à une augmentation des conflits entre les autochtones et l’État.

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